14 Mar 2018 Gubbio, invraisemblable et bouleversante
Un lieu qui produit « un effet absolument stupéfiant et qui possède quelque chose d’invraisemblable et de bouleversant »: ces mots sont ceux du grand écrivain allemand, Herman Hesse, lorsqu’il parle de Gubbio, magnifique centre médiéval en plein cœur de l’Italie centrale. Voyons pourquoi :
Les origines de la ville sont très anciennes comme en témoignent les « Tables Eugubines » remontant au III-Ier siècle av. J.-C, (sept tablettes de bronze gravées avec des caractères ombriens, conservées dans le Musée civique et considérées comme un document italique extrêmement rare), les restes du théâtre romain (de la fin du Ier siècle av. J.-C, situé juste en dehors des murs de la ville).
De la Rome antique au Moyen Age
C’est toutefois le Moyen Age qui est la période de splendeur maximum et qui, encore aujourd’hui, offre à ses habitants et aux visiteurs un tissu urbain absolument envoûtant.
Le point de départ obligatoire de toute visite de la ville est le complexe monumental de la Piazza Grande (Grande Place construite à la fin du XV siècle), appelée également Piazza della Signoria. Cette place de la Seigneurie accueille harmonieusement les Palais publics, autrefois sièges des deux magistratures civiles: le Palazzo dei Consoli [Palais des Consules] un édifice imposant en style gothique achevé vers 1340 et aujourd’hui le siège du Musée civique, et le Palazzo del Podestà [Palais du Podestat], bâtiment inachevé et siège actuel de la marie. Et encore le Palazzo Ducale [Palais ducal] construit sur les plans de Francesco di Giorgio Martini sur l’ordre de Frédéric III de Montefeltro.
Maisons d’exception en Ombrie
Les remparts imposants construits à la fin du XIIIe siècle sont parfaitement conservés et comprennent six portes d’accès dont certaines conservent encore des fragments de décorations picturales, des emblèmes et des blasons ainsi que d’anciens heurtoirs en bois.
Les églises de la ville sont également très intéressantes : de la Cattedrale dei Santi Mariano e Giacomo [cathédrale dédiée aux saints Mariano et Giacomo] (XIII-XIVe siècle) à l’église de San Francesco (église dédiée à saint François datant du XIIIe siècle). Sur une grande place au pied de la ville, la Loggia dei Tiratori [Loggia des Tireurs] construite en 1603 par la corporation des Tisseurs de laine pour le repassage des tissus vaut également une visite.
Les alentours de Gubbio sont également à ne pas manquer: les visiteurs pourront admirer la Gola del Bottaccione, une gorge étroite avec des témoignages de différentes époques, l’aqueduc médiéval, l’ermitage Saint-Ambroise et l’ église de la Vittorina (datant du XIIIe siècle) bâtie à l’endroit où, selon la légende, saint François d’Assise aurait rencontré le loup de Gubbio.
La visite de la Basilica di Sant’Ubaldo est incontournable: située presque au sommet du mont Ingino, accessible également en téléphérique, cette basilique de saint Ubald conserve la dépouille du saint patron de la ville et les Ceri de Gubbio.
La Festa dei Ceri, une course effrénée jusqu’à la Basilica di Sant’Ubaldo
Les Ceri et Sant’Ubaldo [les cierges et saint Ubald] sont les protagonistes de la vie de la communauté locale.
La raison de ceci pourra être pleinement comprise le 15 mai: chaque année, à cette date, les ceri ou « cierges » sont transportés sur les épaules des porteurs en une folle course dans les rues de la ville jusqu’à la basilique, au sommet du mont Ingino.
La caractéristique importante est que ces « cierges » sont en fait trois gigantesques structures en bois en forme de prismes superposés, de plus de quatre mètres de hauteur et pesant environ quatre quintaux. Ces structures sont couronnées chacune par une statue – saint Ubaldo (patron des maçons), saint Giorgio (protecteur des merciers) et saint Antonio (protecteur des âniers et des paysans).
La manifestation folklorique la plus ancienne d’Italie
La Festa dei Ceri est au nombre des manifestations folkloriques parmi les plus anciennes d’Italie. Peut-être même la plus ancienne, cette manifestation joue un rôle fondamental pour la communauté eugubine. Ses origines reposent sur deux hypothèses. La plus accréditée présente la Fête comme un acte solennel de dévotion des Eugubins pour leur évêque Ubaldo Baldassini, à la fin du mois de mai 1160, année de sa mort.
Depuis lors, tous les 15 mai, veille de son décès, l’acte de dévotion au saint patron de Gubbio est devenu un rendez-vous incontournable pour le peuple eugubin qui aurait participé pendant des années à une grande Luminaria ou procession mystique nocturne scintillant de mille et un cierges, en parcourant les rues de la ville jusqu’au mont Ingino (où la dépouille de saint Ubald repose dans la basilique du même nom depuis le 11 septembre 1194). Au fil du temps, le don de cire offert par les guildes des Arts et Métiers est probablement devenu trop important pour en assurer aisément le transport et les cierges ont donc été remplacés à la fin du XVIe siècle par trois structures en bois, celles qui existent encore aujourd’hui. Au fil du temps, la date et le parcours de la fête n’ont toutefois pas subi de variations importantes.
Selon la deuxième hypothèse (moins documentée), l’origine de cette manifestation remontrait encore plus loin dans le temps et serait une fête païenne en l’honneur de Cérès, déesse des moissons : un rite propitiatoire pour le réveil du printemps.
15 mai, tous sur la Piazza grande
Décrire le parcours de la course des Ceri vaut vraiment la peine. Départ de la Piazza Grande, à midi, avec la « levée » spectaculaire à la verticale des Ceri et les trois tours autour de la place. Après les avoir « montrés » aux détours des rues de la ville, ces « cierges » sont déposés Via Savelli jusqu’au moment de la course. L’après-midi, au départ de la cathédrale commence la procession avec la statue de Sant’Ubaldo jusqu’au bout de Via Dante, où l’évêque bénit les Ceri qui peuvent ainsi entreprendre la course au gré des rues principales de Gubbio. De retour sur la Piazza Grande où ils en font différents tours, ils passent par la Porta dell’Angelo [porte de l’Ange] où commence l’ascension du mont Ingino. Les Ceri sont déposés dans la Basilica di Sant’Ubaldo, alors que les statues des trois saints sont reportées en ville accompagnées de chants et de flambeaux.
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Pour comprendre la participation émotive de la population de Gubbio, il faut assister à cette fête au moins une fois dans la vie et y prendre part avec beaucoup de discrétion car les habitants n’apprécient pas les « invasions » extérieures. Voir les porteurs de cierge ou « ceraioli » courir comme des fous et gravir le mont Ingino sans ce soucier de la fatigue ou des risques de chute est extraordinaire. Car si les cierges tombent tout devient une tragédie, les citoyens pleurent et se désespèrent. Ce qui est intéressant c’est qu’il n’y a pas de véritable compétition entre les trois « équipes » qui portent les cierges car en fait ils sont en file et ne peuvent pas se dépasser : le premier à franchir le seuil de la Basilica di Sant’Ubaldo sera toujours le cierge de saint Ubald.
Choses de fous, mais pas à table
C’est peut-être un hasard, mais on ne peut pas ne pas associer la Corsa dei Ceri [Course des Cierges] au fait que Gubbio soit également appelée la città dei matti [la ville des fous]. Le caractère imprévisible de ses habitants s’accompagne également à une forte dose d’auto-ironie : si le visiteur le désire il peut passer également sont permis de « fou ». Il suffit de faire trois tours autour de la Fontana del Bargello, appelée également la Fontana dei Matti [Fontaine des Fous]. Le certificat-souvenir, avec nom et prénom, attestant d’être devenu un fou honoraire de la ville de Gubbio peut être acheté dans la boutique à côté de la fontaine.
Mais lorsque les habitants de Gubbio se mettent à table, ils mettent de côté tout surprise et bizarrerie. Grâce aux matières premières, à kilomètre Zéro (gibier, salades des champs, fromages, charcuterie, viandes provenant de bétails de montagne, etc.), la cuisine eugubine offre des mets dont les recettes sont très anciennes, simples, saines et savoureuses.
Le célèbre Baccalà alla Ceraiola [morue façon cire]. La morue doit tout d’abord être dessalée au moins pendant deux jours, ensuite panée et cuite au four avec du romarin, du sel, du poivre et du vin blanc. Ce plat traditionnel est servi le 15 mai, le jour de la Festa dei Ceri.
Pour ce qui ne veulent pas de poisson, il y a le Friccò de poulet, canard, agneau et lapin, des viandes qui sont cuites à l’étouffée avec du romarin et de la sauce tomate, cuites et agrémentées de vin blanc et vinaigre de vin blanc. Mais d’abord, il faut absolument goûter les stringozzi, pâtes longues de forme irrégulière très semblables aux fettuccine, servies généralement avec des truffes blanches ou noires –Tartufo Bianco et Tartufo Nero – produits typiques de la région.
Pour un en-cas, il est recommandé de goûter la Crescia al Panaro, une sorte de “fougasse” qui peut être farcie et dégustée avec de la charcuterie ou des fromages locaux.
A base d’eau, de farine et de levure, cette recette d’origine paysanne est cuite sous la cendre sur le panaro, ou plaque ronde en fer forgé. Bien qu’un produit pauvre ce met est délicieux et typique de la cuisine de rue.